Vaccin contre le Covid-19 : course contre la montre et surenchère d'annonces
16 novembre 2020 à 18h00 par AFP
Qui dit mieux ? En huit jours, trois fabricants de vaccins contre le Covid-19 ont annoncé avec fracas que leur produit était efficace à 90% au moins. Rapide comme aucune autre et aux enjeux financiers énormes, cette compétition planétaire est loin dÈêtre terminée.
- Combien de vaccins?
Dans son dernier point, daté du 12 novembre, l'OMS recense 48 "candidats vaccins" évalués dans des essais cliniques sur l'homme à travers le monde (contre 11 à la mi-juin).
Onze en sont au stade le plus avancé, la phase 3, où l'efficacité du vaccin est mesurée à grande échelle sur des dizaines de milliers de volontaires répartis sur plusieurs continents.
Parmi eux, celui de la société américaine Moderna, de l'alliance germano-américaine BioNTech/Pfizer ou le Spoutnik V de l'institut de recherche russe Gamaleïa, qui ont tous trois dévoilé des résultats préliminaires ces huit derniers jours.
Egalement en phase 3, les vaccins de plusieurs laboratoires chinois ou encore un projet européen mené par l'Université d'Oxford avec le Britannique AstraZeneca.
Les 37 autres en sont encore à la phase 1 (qui vise avant tout à évaluer la sécurité du produit) ou à la phase 2 (où on explore déjà la question de l'efficacité).
En plus des essais déjà entamés, l'OMS comptabilise 164 projets de vaccins en phase pré-clinique.
- Quelles techniques ?
Les laboratoires ont misé sur des méthodes différentes, certaines déjà éprouvées, d'autres inédites.
Plusieurs équipes travaillent sur des types de vaccins classiques qui utilisent un virus "tué": ce sont les vaccins "inactivés" (comme ceux des Chinois Sinovac et Sinopharm).
Il y a également des vaccins dits "sous-unitaires", à base de protéines (des antigènes) qui déclenchent une réponse immunitaire, sans virus.
D'autres vaccins, dits "à vecteur viral", sont plus innovants: on prend comme support un autre virus qu'on transforme et adapte pour combattre le Covid-19. C'est la technique choisie par l'université d'Oxford et les Russes, qui utilisent des adénovirus (famille de virus très courants).
Enfin, d'autres projets novateurs sont basés sur des vaccins "à ADN" ou "à ARN", des produits expérimentaux utilisant des morceaux de matériel génétique modifié. C'est le cas de ceux de Moderna et de Pfizer/BioNTech.
"Plus on a de candidats avec des techniques différentes, plus on a de chances d'aboutir à un vaccin qui marche et est bien toléré", a expliqué à l'AFP Daniel Floret, vice-président de la Commission technique des vaccinations de la Haute autorité de santé (HAS) française.
- Quels résultats ?
Les annonces de ces huit derniers jours font penser aux films d'action du réalisateur hong-kongais John Woo: plusieurs personnages se tiennent en joue et le premier tir déclenche une réaction en chaîne qui aboutit à une pétarade générale.
Pfizer et BioNTech ont dégainé les premiers en affirmant le 9 novembre que leur vaccin était efficace à 90%, selon des résultats intermédiaires de leurs essais de phase 3. Deux jours plus tard, les Russes de l'institut Gamaleïa ont renchéri de 2% (92%). Puis lundi, c'est Moderna qui a assuré que l'efficacité du sien était de 94,5%.
Ces résultats ont été jugés très encourageants par la communauté scientifique internationale.
Pour autant, il ne s'agit que de résultats intermédiaires, qui ne portent à ce stade que sur un petit nombre de volontaires (94 pour Pfizer/BioNTech, 20 pour Gamaleïa, 95 pour Moderna).
De plus, ces annonces ont été faites par communiqué de presse, mais il n'y a pas encore eu de publication détaillée dans une revue scientifique, même si Moderna a livré davantage de données que ses deux concurrents.
"Il faut voir les détails complets dans une publication scientifique pour être en mesure de se prononcer sur ces résultats de façon indépendante", a souligné lundi une experte britannique, la Dr Penny Ward, citée par l'organisme Science Media Centre.
Car même si ces annonces successives poussent à l'optimisme et boostent les Bourses mondiales, des questions restent en suspens. Combien de temps ces vaccins protègent-ils? Empêchent-il carrément l'infection par le coronavirus, et donc la transmission du Covid-19, ou réduisent-il seulement la sévérité de la maladie? Sont-ils efficaces chez les sujets à risques, dont les personnes âgées?
- Toujours plus vite ?
Le développement et la mise sur le marché d'un nouveau vaccin prennent d'habitude plusieurs années. Pour le Covid-19, les procédures ont été accélérées de façon inédite partout dans le monde, sur fond de bataille à distance entre la Chine, les Etats-Unis et la Russie.
Début août, Vladimir Poutine a claironné que son pays avait développé le premier vaccin contre le Covid-19, avant même la publication des résultats préliminaires et l'entrée dans la phase 3.
De leur côté, les autorités chinoises ont déjà donné leur feu vert à une utilisation d'urgence de certains de leurs vaccins.
Donald Trump, lui, espérait qu'un vaccin soit autorisé avant l'élection présidentielle américaine du 3 novembre, ce qui n'a finalement pas été le cas.
Du point de vue économique, des levées de fonds internationales ont été lancées par les Etats et de grosses fondations, et des accords de pré-réservation ont été passés avec les principaux laboratoires. Cela permet aux entreprises de mettre en place le processus industriel de fabrication de leur vaccin en même temps qu'elles travaillent à son élaboration, deux étapes d'habitude distinctes.
"Ce qui est différent avec les vaccins contre le Covid-19, c'est que les délais de développement et d'approbation potentielle sont bien plus rapides à cause de l'urgence de santé publique", explique l'Agence européenne du médicament (EMA) sur son site internet.
- Vitesse contre sécurité ?
"Les exigences de sécurité pour les vaccins contre le Covid-19 sont les mêmes que pour les autres et ne seront pas abaissées en raison de la pandémie", assure l'EMA.
"Tout le monde souhaite qu'un vaccin soit disponible dans de bonnes conditions le plus vite possible, mais on ne doit pas confondre vitesse et précipitation: il faut se donner le temps d'une analyse complète, rigoureuse et transparente", a déclaré à l'AFP l'immunologiste Alain Fischer.
Depuis septembre, trois essais de phase 3 ont été interrompus pour des raisons de sécurité: ceux d'Oxford/AstraZeneca, de Johnson & Johnson (les deux fois après une "maladie inexpliquée" chez un volontaire) puis de Sinovac (pour la mort d'un participant, qui pourrait finalement être un suicide).
Ces interruptions avaient pour but de de vérifier que le problèmes en question n'était pas lié au vaccin, et les trois essais ont repris.
Pour concilier vitesse et sécurité, l'EMA a mis sur pieds une procédure accélérée: elle lui permet d'examiner les données de sécurité et d'efficacité des vaccins au fur et à mesure de leur parution, avant même qu'une demande formelle d'autorisation soit déposée par le fabricant.
Moderna est devenu lundi le troisième projet de vaccin soumis à cette "évaluation continue", après ceux d'Oxford/AstraZeneca puis de Pfizer/BioNTech début octobre.
Aux Etats-Unis, Pfizer/BioNTech et Moderna veulent tous deux déposer rapidement une autorisation de mise sur le marché.
- À quand un vaccin ?
"On ne sait pas si des vaccins contre le Covid-19 seront approuvés et combien de temps cela prendra, car il est difficile de prévoir un calendrier", avance prudemment l'EMA.
Mais certaines entreprises pharmaceutiques, qui ont un intérêt économique à le dire, jurent que c'est possible avant la fin 2020.
"On ne peut pas s'attendre à une autorisation de mise sur le marché, même conditionnelle, avant le début de l'année prochaine", a récemment tempéré Daniel Lévy-Bruhl, l'un des responsables de l'agence sanitaire française Santé publique France.
Le fondateur de BioNTech, Ugur Sahin, a assuré dimanche à la BBC que l'objectif était de fournir plus de 300 millions de doses dans le monde d'ici avril, ce qui "permettrait seulement de commencer à avoir un impact".
Selon lui, les effets bénéfiques du vaccin ne se feraient pleinement ressentir que plus tard: "Ce qui est absolument essentiel, c'est d'avoir un taux élevé de vaccination d'ici l'automne/hiver" 2021.
Car même si un vaccin est approuvé rapidement, tout le monde ne sera pas vacciné tout de suite.
"Dans un premier temps, les quantités de vaccins seront limitées et la priorité sera donnée aux soignants, aux personnes âgées et aux autres catégories à risques", a souligné lundi sur Twitter le patron de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
"J'espère que cela réduira le nombre de morts et permettra aux systèmes de santé de faire face, mais le virus disposera toujours de beaucoup d'espace pour s'étendre", a-t-il prévenu.
Début septembre, l'OMS avait indiqué ne pas s'attendre à une vaccination généralisée contre le Covid-19 avant la mi-2021.
"Si on y arrive à cette échéance, ce sera déjà un sacré prodige", relève Daniel Floret.
- Quel vaccin contre la défiance ?
Même si les recherches aboutissent à plus ou moins longue échéance, il restera une ultime question, de taille: les gens accepteront-ils de se faire vacciner, dans un contexte de défiance grandissante?
Selon une étude parue mi-octobre dans la revue britannique Royal Society Open Science, une part non négligeable de la population de certains pays croit à des théories complotistes sur le Covid-19, qui augmentent la méfiance envers la vaccination.
Par exemple, la fausse affirmation selon laquelle la pandémie "fait partie d'un plan pour imposer la vaccination mondiale" est jugée fiable par 22% des Mexicains sondés pour cette étude.
Selon une enquête menée dans 15 pays, publiée début novembre par le Forum économique mondial, la proportion de personnes prêtes à se faire vacciner a même diminué par rapport au mois d'août. Seulement 73% sont d'accord avec l'affirmation "si un vaccin contre le Covid-19 était disponible, je me ferais vacciner", contre 77% en août.
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