Droits humains bafoués : "les joueurs doivent avoir un message de solidarité", réclame Amnesty International

15 novembre 2022 à 7h00 par Étienne Escuer

Une image de Kylian Mbappé dans les rues de Doha, au Qatar.
Une image de Kylian Mbappé dans les rues de Doha, au Qatar.
Crédit : Gabriel BOUYS / AFP

Toute cette semaine, notre rédaction se penche sur le Mondial de football au Qatar qui débute dimanche 20 novembre. Focus sur la réaction des joueurs et des fédérations sur la question des droits humains.

Si de nombreuses voix se sont élevées ces dernières semaines pour appeler à un boycott de la coupe du monde de football au Qatar, Amnesty International préfère de son côté profiter de ce coup de projecteur pour alerter sur le non-respect des droits humains dans l’émirat. Mobilisée depuis l’attribution du mondial en 2010, l’ONG rappelle qu’à l’époque « aucune contrepartie n’est demandée au Qatar, rien ne fait mention des droits humains », selon Lola Schulmann, chargée de plaidoyer.

 

Le lobbying d’Amnesty International et d’autres associations ces dernières années a permis de mettre la pression sur Doha sur la question des travailleurs migrants, et quelques timides avancées ont été obtenues. « Une législation a été prise pour mettre fin à un système de kafala, qui faisait que le salarié était complètement sous la mainmise de son employeur », explique Lola Schulmann. « Mais ce qu’on constate, c’est que la réalité n'est pas du tout à la hauteur des promesses et ce que cette législation n’est pas assez mise en œuvre aujourd’hui. »

 

 

Le silence de la FIFA et de la FFF

 

Amnesty International doit faire face à assez peu de bonne volonté de la part des instances sportives internationales. La président de la Fifa Gianni Infantino a appelé début novembre à « se concentrer sur le football », estimant que ce dernier ne devait « pas être entrainé dans des batailles idéologiques et politiques ». L’ONG aurait souhaité un peu plus de soutien alors qu’elle milite pour la création d’un fonds d’indemnisation pour les travailleurs, de nouveau refusé par le Qatar ce mois-ci.


A l’échelon français, la réaction des instances sportives est également jugée décevante par Amnesty International. Une enquête du magazine Complément d’Enquête, mi-octobre sur France 2, avait montré une certaine désinvolture dans l’attitude du président de la Fédération française de football (FFF), Noël le Graët, lorsque des images des conditions de vie des travailleurs lui ont été montrées.

 

 


La FFF a ensuite corrigé le tir en annonçant une inspection chez ses prestataires au Qatar, mais a réagi trop tardivement, estime Lola Schulmann. « La Fédération a été dans le silence depuis de nombreuses années », explique-t-elle. « On l’avait interpellée une première fois en 2016 et elle n’avait pas répondu. » Il a fallu attendre décembre 2021 et le déploiement d’une imposante banderole devant le siège de la FFF pour que cette dernière accepte d’écouter Amnesty International. « On a aussi demandé à plusieurs reprises à la FFF de pouvoir rencontrer les joueurs mais on n’a toujours pas obtenu de réponse », poursuit Lola Schulmann.


Prise de parole des joueurs ?


Les joueurs, justement, ont un rôle important à jouer, rappelle Amnesty International. « Ils doivent avoir au moins un message de solidarité », demande Lola Schulmann. « Ce sont grâce à ces travailleurs qu’ils sont accueillis au Qatar, dans l’hôtel, avec petit déjeuner, chambre propre, etc. On ne demande pas forcément une prise de position individuelle, mais réfléchir à comment ensemble ils peuvent avoir un message de solidarité. » Les footballeurs australiens, par exemple, ont publié une vidéo de soutien aux travailleurs migrants et aux minorités discriminées, comme les personnes LGBT+.

 

 

Autres adversaires des Bleus au premier tour, les Danois ont quant à eux décidé de réduire autant que possibles les déplacements au Qatar, les familles des joueurs ne se rendront par exemple pas sur place. Leur équipementier, Hummel, a également dévoilé des maillots unis, avec logos et sponsors plus que discrets, dont l’un noir, couleur du deuil. « La plupart des fédérations, notamment européennes, avaient engagé un dialogue avec les sections d’Amnesty depuis bien longtemps », tacle Lola Schulmann. « Elles ont pris le sujet de manière sérieuse et responsable car pour elles ces questions de droits humains étaient essentielles. »

Le capitaine des Bleus, Hugo Lloris, a tout de même promis ce lundi 14 novembre que quelque chose serait fait pour les droits humains, sans en dire plus. En revanche, il a indiqué qu’il ne portera pas le brassard arc-en-ciel One Love, pour « respecter la culture » au Qatar. Là encore, Noël Le Graet s'était dit « pas favorable » à cette initiative en faveur des droits LGBT+.

 

Amnesty International espère qu’une fois le coup d’envoi du mondial donné, l’attention médiatique accordée au sort des travailleurs, notamment, ne retombera pas. Mieux, qu’elle serve aussi à faire pression sur les organisateurs de futures compétitions internationales, qui devront s’engager pour les droits humains et l’environnement. Car une question se pose désormais : comment ramener la Coupe à la raison ?