Bordeaux : la lettre ouverte d'une sage-femme de la maternité de l'hôpital Pellegrin
26 novembre 2020 à 9h39 par Diane Charbonnel
Alors que le mouvement de grève se poursuit à la maternité de l'hôpital Pellegrin de Bordeaux pour demander plus de moyens et de sécurité, une sage-femme a décidé de prendre la plume pour faire part de son mal-être au travail.
Le personnel de la maternité de l’hôpital Pellegrin de Bordeaux a voté, ce jeudi matin, la poursuite du mouvement de grève illimitée lancé mardi à l’appel du syndicat Sud Santé. Sages-femmes, aides-soignants et infirmiers demandent plus de moyens et de sécurité. Des négociations avec la direction du CHU ont déjà permis d’obtenir la création de quatre postes supplémentaires au sein du service : un poste d’aide-soignante et un poste de sage-femme supplémentaires la nuit en salle de naissance, et deux postes d’auxiliaire puéricultrice. Les négociations devraient encore se poursuivre concernant, notamment la sécurité. Le personnel mobilisé demande la présence d’un agent de sécurité 24h/24 à la maternité.
C’est dans ce contexte qu’une sage-femme du service a décidé de publier une lettre ouverte à l’attention des patientes, des élus et des dirigeants des hôpitaux publics. Elle y exprime son mal-être au travail et sa volonté de bien faire qui se heurte à un manque de temps et de moyens.
A vous Mesdames,
Que l’on aimerait accompagner sans drame
Dans ce moment si important
Qu’est de mettre au monde un enfant.
Nos chères patientes,
Que l’on prend en charge sans discrimination,
Quelles que soient votre orientation sexuelle, vos origines ou bien votre religion,
Nous vous traiterons de la même façon.
Nous essayons du mieux que l’on peut,
De vous guider dans ces moments le plus souvent heureux,
Que ce soit en consultation, en salle d’accouchement, ou en maternité,
D’être présente au maximum à vos côtés.
A vous madame qui souhaiterait accoucher sans péridurale,
Plusieurs mois à travailler sur un projet de naissance,
Ma présence vous aiderait à lutter contre ces contractions qui vous font mal,
Malheureusement, je suis occupée sur une hémorragie de la délivrance.
A cette parturiente arrivant à la maternité avec un travail déjà bien avancé,
Vous voulez une péridurale, vous nous le répétez,
Cependant le manque de place en salle de naissance vous fera accoucher aux urgences
C’est à ce moment-là, que la situation engendre un sentiment de maltraitance.
A cette maman en suites de couches, perdue et effondrée,
Qui m’appelle parce que son enfant ne fait que pleurer,
Il est 4heures du matin et je dois refuser de lui garder,
24 patientes et le même nombre de bébés, à 4 mains on ne peut pas tout gérer.
A vous, parents endeuillés,
Je suis désolée de ne pas avoir pu vous épauler comme je l’aurais souhaité.
Vous comprenez, j’ai une tonne de papiers à remplir et deux autres patientes à coté,
Les conditions dans lesquelles nous travaillons ne sont pas adaptées à votre situation.
A ma collègue, mon binôme,
Qui a eu seule, la charge lourde de vous présenter votre enfant décédé,
J’aurais préféré partager cette épreuve avec toi, ne pas te mettre en difficulté,
Enfin, tu le sais, c’est comme ça qu’on peut bosser à la maternité.
A mes collègues fatiguées, dépitées,
De voir un système de santé s’effondrer.
Les plus anciennes voient l’évolution désastreuses,
C’est bien triste de n’être plus que des accoucheuses.
A trop donner, on finit par s’oublier,
Alors beaucoup décident de nous quitter,
Dégoûtées du manque de reconnaissance et de considération,
Nous leur dirons bientôt adieu pour de bon.
Moi, je suis une jeune diplômée,
J’ai encore espoir que les choses changent,
Alors malgré un salaire qui me dérange,
Je vais me lever pour essayer de les faire bouger.
Je vais tout faire pour limiter la casse,
Mais sur cette garde, trop vite le temps passe.
J’essaie de faire face, de tenir bon,
Car mon métier je ne peux le faire qu’avec passion.
Alors je continuerai de bien travailler,
Vous accompagnez pour la naissance de vos bébés,
Mais sachez que notre maternité est à l’agonie,
N’ayez crainte, notre combat n’est pas fini.
A vous, élus et dirigeants de l’hôpital public,
Donnez-nous les clés pour mieux avancer, il faut vraiment nous aider,
On sait que tout ça a un prix,
Mais il est temps d’arrêter de nous mettre nous et nos patientes en danger.
Lettre ouverte d’une sage-femme encore passionnée par son métier.